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Analyse

Chauffeurs-livreurs : les inaudibles de la République

Par Jérôme Giusti
23 Mars 2020
Chauffeurs-livreurs : les inaudibles de la République

Les livreurs et travailleurs des plateformes sont-ils les oubliés de la crise sanitaire due à l'épidémie de coronavirus qui touche l'ensemble des pays du monde ? Pour Jérôme Giusti, co-directeur de l'Observatoire Justice de la Fondation Jean-Jaurès, des solutions doivent être trouvées car il ne peut pas exister de liberté sans protection et sans responsabilité.

Les travailleurs invisibles du numérique

En février 2020, France-TV diffusait une série documentaire, intitulée « Invisibles – Les travailleurs du clic », dénonçant les conditions de travail à l'âge du numérique. Pour ceux qui s'intéressent au sujet des travailleurs de plateforme, le sort des chauffeurs Uber et des livreurs Uber Eats ou Deliveroo y est exposé sans fard.

Bilel, 24 ans, « fait Uber Eats » depuis deux ans. Il travaille 70 heures par semaine et gagne 400 euros bruts par mois, moins « les charges d'auto-entrepreneur ». C'est lui qui a payé son vélo et son abonnement téléphonique. Il paye aussi ses crevaisons. Pour son sac, il a réglé une caution de 80 euros à Uber. Il « consacre tous les jours de sa vie à Uber, les week-ends aussi », de 9 heures du matin à 1 heure du matin.

Une avancée juridique majeure

En mars 2020, la Cour de cassation a confirmé qu'un chauffeur ayant poursuivi Uber devant les prud'hommes peut être requalifié en travailleur salarié : il n'a pas de clientèle propre, ne fixe pas ses prix, ni les conditions de sa prestation, ni son itinéraire. Peu importe qu'il ait la « liberté » de choisir ses jours et ses heures de travail. Le fait qu'il puisse être déconnecté à tout moment est un signe supplémentaire de sa subordination au pouvoir de sanction de la plateforme.

La crise du COVID-19 révèle la précarité des travailleurs de plateforme

Pendant la crise du COVID-19, les applications comme Uber continuent de fonctionner, ainsi que les autres plateformes de livraison à domicile. Uber propose même des promotions pour les clients d'Uber Eats, avec l'assentiment des pouvoirs publics. Les taxis et VTC ne sont pas concernés par la mesure de confinement général, alors que tous les autres transports sont progressivement limités.

N'étant pas salariés, les chauffeurs Uber ne bénéficient pas des mesures annoncées par le gouvernement comme le chômage partiel ou les congés maladie pour garde d'enfants. Ils doivent, pour beaucoup, continuer à payer leur location de voiture et la plupart des loueurs refusent de suspendre les loyers.

Ni salariés, ni véritablement indépendants, ces travailleurs se retrouvent dans une situation particulièrement précaire, révélatrice des failles du système actuel.

"En vingt ans, nous avons vu se construire une nouvelle économie fondée sur le principe de l'irresponsabilité, là où après deux siècles de progrès technique et social, nous étions parvenus à créer des acteurs industriels et serviciels responsables."
— Jérôme Giusti

Vers un nouveau modèle : la coopérative

Pour la Fondation Jean-Jaurès, Jérôme Giusti a publié avec Thomas Thévenoud un rapport en janvier 2020 qui défend le regroupement structurel des chauffeurs, une mutualisation des charges, une socialisation des risques, un statut d'entrepreneur-salarié et possiblement associé, un salaire minimum et un partage des bénéfices. Ce modèle coopératif pourrait offrir une alternative viable aux plateformes actuelles, garantissant à la fois liberté, protection et responsabilité.

Lire l'article complet Source: Fondation Jean-Jaurès